L’université et les organismes de recherche ont été confrontés, ces dernières années, à une réorganisation forcée de leurs structures et de leurs modes de fonctionnement. Réforme du CNRS, loi dite « d’autonomie » des universités, politique dite « d’excellence », financement de la recherche par une Agence attribuant ses fonds sur projets, tentative de « modulation » des services d’enseignement, etc. Ces évolutions ont profondément transformé nos pratiques professionnelles et, de l’avis général, rarement favorablement.
Qu’il s’agisse de la recherche ou de l’enseignement, il apparaît désormais clairement que l’objectif poursuivi par le gouvernement consistait à orienter davantage notre activité professionnelle tout en accordant moins de moyens aux universités. La mise sous enveloppe globale des salaires et des crédits de fonctionnement des universités, évidemment accompagnée par une progression des dotations moins élevée que l’inflation, a immédiatement placé nos établissements en difficulté financière. Les conséquences n’ont pas tardé à se faire sentir. Plutôt que de mettre en cause les choix gouvernementaux en permettant à la communauté universitaire de les contester dans le cadre d’un débat public où auraient enfin été posés les problèmes du financement de l’éducation supérieure, les directions d’université ont préféré, en toute autonomie, procéder à des coupes budgétaires, rogner sur les crédits de recherche, supprimer des heures d’enseignement, etc.
Face à ce qui faut bien appeler une dégradation sensible des conditions d’exercice de nos activités d’enseignement et de recherche, nous devons réagir collectivement et, avant tout, identifier clairement les difficultés nouvelles que nous rencontrons. En matière d’enseignement, les suppressions d’heures opérées par la Présidence de l’université portent atteinte aux maquettes des diplômes et à la cohérence des apprentissages. Il faut noter que l’impact pédagogique sur les conditions de réussite des étudiants n’est pas mesuré ni seulement envisagé.
Renforcer notre capacité à enseigner
Il importe tout d’abord, face à ces politiques, de ne pas céder sur nos missions fondamentales d’enseignement et de ne pas consentir à un affaiblissement historique de la capacité pédagogique de l’université. Bien que les termes « d’austérité budgétaire » et « d’économies à réaliser sur l’éducation de nos enfants » soient évidemment tabous et ne puissent franchir les lèvres des ministres ou des présidents d’université, il s’agit bien d’un désengagement de l’Etat qui amène les universités à être notoirement sous-financées. Tandis que les effectifs universitaires tendent à augmenter, le reversement dans la masse salariale indifférenciée des moyens correspondant au postes universitaires non pourvus, la réduction des heures d’enseignement délivrées, l’effort portant sur « l’accroissement de la lisibilité de l’offre de formation » risquent de conduire à une détérioration des conditions d’enseignement et des chances objectives de réussite des étudiants.
Aussi nous proposons :
- d’instaurer une politique volontariste visant à améliorer le niveau d’encadrement des étudiants, en particulier durant le cycle de Licence. Cet objectif pourra se décliner de plusieurs façons : enseignements en petits groupes, cours d’option, etc. Les enseignants ne doivent pas avoir 200 étudiants devant eux sans pouvoir dialoguer ou répondre aux questions. Ils ne doivent pas consacrer trois semaines de travail à corriger les copies des amphis surchargés ;
- le maintien de la qualité des enseignements ne saurait être conciliée avec une charge horaire excessive. Toute tentative pour accroître la charge d’enseignement des universitaires doit être écartée, que ce soit sous la forme d’un excès d’heures complémentaires ou, pire encore, à travers une modulation des services transformant les enseignants en répétiteurs surchargés ;
- la cohérence des maquettes de Licence et de Master présentées dans le cadre du nouveau contrat quinquenal et validées par l’AERES doit être maintenue. Si des rationalisations sont nécessaires, la politique de suppression d’heures d’enseignement (20.000 puis 18.000 heures ces deux dernières années) ne peut plus continuer sans altérer cette cohérence ;
- nous devons continuer à nous attaquer au problème de l’échec des étudiants dans les premières années de Licence dont les causes sont bien connues. Le plan réussite en licence doit être entièrement reconsidéré et reformulé : orientation des étudiants, encadrement plus soutenu en TD, tutorat reconnu formellement par l’université, contacts plus engagés entre générations d’étudiants sous la forme de parrainage, développement de maison des étudiants et d’une vie associative de campus permettant la circulation des savoir-faire entre les générations étudiantes… Enfin, une action réaliste fondée sur une expertise des logiques d’échec doit être mise en œuvre ;
- Parmi les savoirs que l’université peine à transmettre figure évidemment l’apprentissage des langues, qui n’apparaît jamais comme une priorité dans des enseignements conçus selon une logique de faculté. Pourtant, l’insertion professionnelle des étudiants comme leur capacité à évoluer dans le monde moderne impliquent la maîtrise d’autres univers linguistiques. Aussi l’université de Strasbourg doit-elle placer parmi ses priorités le renforcement des compétences linguistiques de ses étudiants. Cela passera par une réflexion sur les méthodes d’apprentissage ainsi que sur l’extension du nombre des heures d’enseignement des langues dans tous les cycles ;
- ce développement de l’apprentissage des langues devrait permettre d’accroître l’internationalisation d’un certain nombre de formations (par exemple de type Erasmus Mundus), en commençant par les Masters ;
- Enfin, il ne faut jamais perdre de vue la cohésion pédagogique qui doit nécessairement exister entre les Licences (à partir de la seconde année) et les Masters, plus liés à la recherche ou à une professionnalisation. Ce souci doit rester permanent et est une force du système français.
Développer une recherche dynamique, ambitieuse et autonome
Parallèlement aux menaces qui pèsent sur les conditions d’exercice de nos missions d’enseignement, les évolutions récentes de l’organisation de la recherche et de son financement ne se sont pas révélées plus réjouissantes. Ainsi, la diminution des financements récurrents des laboratoires, la montée des financements sur appels à projets, la contraction du nombre réel des chercheurs en poste dans les organismes de recherche, la concentration des budgets nationaux sur un nombre très limité d’universités – IDEX – (bien que Strasbourg en bénéficie, nous devons en reconnaître le caractère inégalitaire), la redéfinition des priorités de financement autour des « sciences utiles » susceptibles d’applications économiques ou encore la politique des chaires dites « d’excellence », qui diminue le nombre des positions de chercheurs et celui des délégations pour les enseignants-chercheurs, ont fortement dégradé notre environnement de travail en matière de recherche.
Or, la recherche à l’Université de Strasbourg est considérée, dans beaucoup de domaines, comme l’une des meilleures en France et, dans un certain nombre de disciplines, comme l’une des meilleures dans le monde. Il faut, par conséquent, que la politique scientifique de l’Université de Strasbourg, associée aux grands organismes de recherche que sont principalement le CNRS et l’INSERM, puisse réunir les conditions des moyens et de l’indépendance de la recherche pour rester un grand pôle d’attractivité et attirer des chercheurs, des post-doctorants et des doctorants de haut niveau venant de l’extérieur.
Nous formulons les positions et propositions suivantes :
- le laboratoire et l’équipe d’accueil restent les lieux d’élaboration collective de la recherche scientifique. Il faut en préserver l’indépendance qui existe à travers les conseils de laboratoire, où toutes les forces vives doivent être représentées ;
- le rôle du Conseil scientifique doit être singulièrement renforcé, afin qu’il puisse accomplir sa mission d’élaboration de la politique scientifique, intégrant, à côté du budget universitaire, les autres ressources de la recherche. Doivent faire partie des missions du CS : la gestion des appels d’offre, afin de dynamiser les projets de recherche, d’assurer l’indépendance dans leur évaluation et de garantir l’équité dans la répartition des moyens entre les différentes disciplines de l’université. Le CS doit aider le CEVU à assurer la formation par la recherche dès la Licence ;
- les crédits récurrents d’un laboratoire doivent représenter un financement stable, à la hauteur de ses besoins. L’université doit peser de tout son poids pour demander, au niveau national, le retour des crédits de l’ANR vers les budgets des universités ou des organismes et une redéfinition du Crédit d’impôt recherche. Le maintien des appels d’offres du CS apparaît également indispensable à la conduite d’une politique scientifique de l’université en direction des unités de recherche. Par conséquent, on ne peut accepter que le budget de la recherche à l’Université de Strasbourg soit systématiquement en diminution, comme il l’a été ces dernières années, même dans une période de gestion financière délicate ;
- il faudra travailler à ce que les projets financés dans le cadre des « Investissements d’avenir » soient complètement intégrés à la politique scientifique de l’Université. Nous sommes favorables à la suppression du périmètre d’excellence en ouvrant les outils de l’IDEX strasbourgeois, les appels d’offre et l’Institut d’études avancées, à toutes les équipes et collègues. Nous redirigeons une partie de l’argent vers le fonctionnement ordinaire des laboratoires et l’abondement de la masse salariale. Nous instaurerons la maîtrise par les conseils (au premier rang le CS) des décisions concernant l’IDEX et supprimerons le comité de pilotage. Nous favorisons la gestion directe des projets Labex par les laboratoires. Enfin nous combattrons au niveau national la politique d’excellence, synonyme d’exclusion.
- il est indispensable que l’université assure la construction, si nécessaire, la réfection et la mise aux normes des locaux dans lesquels s’accomplit la recherche. Ces opérations ne peuvent se faire sans des montages financiers ad hoc, mais doivent rester prioritaires pour un fonctionnement optimal de la recherche et son attractivité ;
- le seul principe absolu pour assurer une indépendance dans la recherche est celui de l’emploi stable de fonctionnaire, pour les chercheurs, les enseignants-chercheurs, les ITA/BIATSS, à négocier, entre autres, sur le postes du plafond d’emploi de fonctionnaires non utilisés. Il faut, par ailleurs, pérenniser les emplois des collègues effectuant des missions permanentes dédiées à la recherche ;
- les tâches d’enseignement et de responsabilité administrative incombant aux enseignants-chercheurs sont souvent trop lourdes. Il faut donc créer les conditions pour qu’ils puissent réellement consacrer la moitié de leur temps de travail à la recherche. Ils doivent pourvoir prendre des responsabilités dans la recherche, mettre en œuvre des Masters de recherche internationaux ou encore changer de thématique de recherche pour s’adapter aux politiques de laboratoire. Les possibilités de passages entre les statuts de chercheur et d’enseignant-chercheur, entre les organismes et l’université devraient être développées ;
- la qualité du travail scientifique est une condition d’existence de la recherche, au niveau national comme international. L’évaluation a posteriori du travail des unités par les pairs, sous la forme de critiques constructives, est absolument nécessaire. En ce sens, le fonctionnement et l’existence-même de l’Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (AERES), caractérisé par l’opacité, l’absence d’élus, de critères de comparaison connus entre unités et de possibilité de recours quand une note est donnée et publiée, devrait être reconsidéré au niveau national. Il faut réhabiliter, à cet effet, le rôle d’évaluation que le comité national du CNRS et les CCS de l’INSERM assuraient pour les unités mixtes avec les organismes. L’université devrait impulser un système proche de celui du comité national pour l’évaluation des Equipes d’accueil.
- la coopération entre les organismes et l’université de Strasbourg est fructueuse. Elle doit reposer sur le principe de complémentarité et de coopération. Leurs missions communes sont la recherche et sa valorisation. La mission spécifique de l’université est d’assurer, en plus de la recherche, la formation des jeunes générations et la formation tout au long de la vie. La mission spécifique des organismes est d’assurer une cohésion nationale dans la définition d’une politique scientifique autonome, une ouverture internationale en accord avec la politique internationale de l’université, l’interdisciplinarité et des analyses de prospective ;
- la politique de recherche doit rester de la compétence d’Etat : elle est nationale. La déclinaison locale reste de la compétence des instances de l’université et des organismes auxquels elle est associée. Le rôle de la région est de favoriser les relations, projets communs et financements des collectivités locales, en rapport avec des développements économiques plus locaux, avec l’université et les organismes représentés par leur direction, assistés de leurs conseils et régis par des conventions. Tout partenariat avec la région devrait être systématiquement examiné par le Conseil scientifique de l’université pour être intégré dans une politique de recherche et de valorisation de l’université.
Renforcer la continuité entre recherche et enseignement
Alors que des « Grandes écoles », à l’exception des ENS, accordent une place plus que réduite à la recherche, l’Université produit des connaissances nouvelles qu’elle diffuse auprès de ses étudiants. Il ne s’agit pas seulement d’un adossement de l’enseignement à la recherche ou encore d’un métier double, celui d’enseignant-chercheur, dont l’activité s’établirait à parité entre deux missions distinctes, mais d’une fécondation mutuelle. Les étudiants bénéficient non pas de cours généraux mais d’enseignements bien plus spécialisés, leur apportant les dernières avancées de chaque discipline, y compris durant le cycle de Licence. En retour, le dialogue avec les étudiants permet, dans bien des matières, de préciser une conceptualisation ou d’affiner des formulations théoriques.
Malheureusement, les évolutions récentes proposées par les différents gouvernements ne favorisent nullement le renforcement de ce modèle réunissant dans un même lieu la production scientifique la plus récente et l’activité d’enseignement. Ainsi, lorsque le gouvernement déclare accorder des postes à l’université, il s’agit prioritairement d’enseignants n’ayant aucune mission de recherche. Le dernier terme à la mode dans les cabinets ministériels, le principe dit du « –3/+3 », originellement prévu comme un moyen de repenser le système d’orientation risque à cet égard de conduire à la restriction du nombre des enseignants-chercheurs durant le cycle de Licence. Tout au contraire, nous inciterons à renforcer les liens entre l’enseignement et la recherche à tous les niveaux de formation :
- chaque Licence généraliste devra comporter une initiation à la recherche dès le L3 et, en Master, un enseignement de la recherche disciplinaire « en train de se faire » effectuée par des enseignants-chercheurs ou des chercheurs qui seraient ainsi encouragés à participer aux enseignements en valorisant ces tâches d’enseignement ;
- la mise en œuvre d’une pédagogie innovante doit également permettre une formation par la recherche via des projets conduits par des groupes d’étudiants. Le caractère collectif de ces dispositifs devra encourager le travail en équipe et une réflexion confrontant les points de vue ;
- l’insertion la plus précoce possible des étudiants dans des projets de recherche réels et effectifs dans les disciplines qui s’y prêtent, en particulier sous la forme de stages ;
- la réalisation en Master d’un mémoire permettant de mobiliser les outils, modèles et méthodes de la recherche scientifique et la participation à des activités collectives d’initiation à la recherche (afin que l’adossement à une équipe de recherche ne reste pas qu’une ligne dans un projet) ;
- l’instauration d’une véritable dimension scientifique dans les dispositifs de tutorat destinés à favoriser la diffusion des expériences entre étudiants de niveaux différents. En effet, le tutorat ne doit pas seulement permettre la transmission de l’expérience pédagogique des étudiants avancés mais doit aussi favoriser l’initiation des étudiants de premier cycle aux démarches de recherche ;
- accorder un accompagnement institutionnel et des moyens aux équipes pédagogiques engagées dans ces dispositifs innovants d’intégration des étudiants aux démarches de recherche.
Ces projets, visant à renforcer la continuité entre enseignement et recherche, ne peuvent s’envisager sans la pleine mobilisation des universitaires et des chercheurs. Elle ne pourra être obtenue que par une adhésion qui suppose le débat et des réflexions collectives antérieures.
Pouvez-vous en dire davantage sur ce que vous entendez par « demander une redéfinition du Crédit d’impôt recherche », dans le paragraphe : « les crédits récurrents d’un laboratoire doivent représenter un financement stable, à la hauteur de ses besoins. L’université doit peser de tout son poids pour demander, au niveau national, le retour des crédits de l’ANR vers les budgets des universités ou des organismes et une redéfinition du Crédit d’impôt recherche ».