La communauté fragmentée : témoignage d’un élu

Notre communauté universitaire reste à inventer. Si son existence est une utopie positive, toujours à construire, elle dépend aussi de notre capacité collective à surmonter nos divisions et à instaurer des relations plus humaines. Mais il est à craindre que la campagne qui s’achève, même si elle a provoqué des prises de conscience certainement salutaires et suscité des engagements, ait aussi divisé un peu plus notre communauté, en avivant de multiples tensions. Cette campagne n’aura peut-être pas été à la hauteur des attentes des personnels, souvent désabusés ou indifférents à ce qui leur apparaît comme des jeux politiques au sommet, bien éloignés de leurs préoccupations concrètes. Les candidats des listes RDC ont pourtant tenté de conduire une campagne digne, nourrie par une vraie consultation des personnels, basée sur un programme, des convictions, des propositions et non des effets d’annonce. Les manœuvres et le double discours d’un président en campagne ont parfois obligé nos candidats à répondre, non pour polémiquer mais pour rappeler le bilan de l’équipe présidentielle sortante, bilan que les listes UDS ont tenté de faire oublier par des propositions difficilement crédibles, parce qu’elles sont souvent en contradiction avec les choix politiques de ces derniers mois. Mais ce n’est pas ici l’objet de mon propos. D’autres l’ont écrit mieux que moi. Les électeurs voteront en conscience, sinon en connaissance de cause.

En cette veille d’élection, je souhaite bien plutôt faire part de quelques réflexions, à partir de mon expérience d’élu au CA, mais aussi à partir du vécu des personnels avec lesquels j’ai beaucoup parlé ces dernières années, ou que j’ai été amené à soutenir quand ils étaient dans des situations difficiles.

Ce qui m’inquiète le plus aujourd’hui est l’état de fragmentation de notre communauté universitaire. Alors que la fusion aurait dû rassembler, elle a multiplié les divisions. Alors qu’elle aurait dû créer des liens elle a trop souvent éloigné, elle a augmenté les distances. L’équipe présidentielle n’est certainement pas comptable de tous les maux, mais elle n’a pas su trouver les moyens de créer des passerelles, de fédérer les énergies, d’inventer de nouvelles solidarités.

La base et le sommet

Quand on parle avec les personnels de notre université, on est saisi par une représentation de la présidence et des instances comme infiniment éloignées. « Là-haut » est la locution qui revient le plus souvent. Ce lieu est vécu comme un ailleurs qui ne devient concret que sous la forme de nouvelles contraintes de travail, qui ne sont pas toujours expliquées, qui viennent d’on ne sait où, et qui ont pourtant des conséquences bien réelles dans le quotidien des personnels. La rencontre avec le sommet est annuelle : c’est le fameux « dialogue de gestion » dont on parle beaucoup et qui semble d’autant plus craint qu’il s’éternise ou est repoussé. Il n’annonce jamais rien de bon. Le mot « d’arbitrage » a désormais l’accent d’un couperet. Il faut alors se demander comment on en est arrivé là.

Les élus du Conseil d’administration peuvent souffrir de la même représentation, en particulier quand ils sont aussi directeurs d’une composante. Le cumul des fonctions et des mandats éloigne et enferme. Multiplier les responsabilités n’est jamais une bonne chose et finit par créer des positions de pouvoir. Il n’est pas sain non plus de solliciter un mandat pour représenter sa propre composante ou son laboratoire. Un élu du CA a pour vocation de représenter tous les personnels et non des intérêts sectoriels ou disciplinaires. Une sensibilisation des élus aux questions d’éthique serait certainement souhaitable. Aussi je me demande toujours pourquoi les élus ne tiennent pas de permanence et ne disposent pas de moyens pour cela. Les rapports avec les personnels devraient être pourtant réguliers. Il faudrait être capable de briser les verticalités hiérarchiques en multipliant les relations horizontales, d’individu à individu, de sujet à sujet. Ce doit être possible.

Le centre et la périphérie

Le management entrepreneurial et le renforcement des procédures d’évaluation en tous genres ont avivé ces dernières années des formes de compétition malsaine entre les personnels, quels que soient leurs statuts. Devoir évaluer sa collègue de bureau qui est une amie, n’est pas une chose facile. L’AERES et la politique dite « d’excellence » ont produit des dégâts humains qu’on ne soupçonne pas. Se sentir « improductif » et se voir taxé de  « non publiant » parce qu’on n’a écrit qu’un article dans l’année peut être vécu aujourd’hui comme une véritable humiliation. J’ai vu des collègues se syndiquer simplement par peur de ne pas réussir dans leurs missions de recherche. On peut clairement identifier dans notre université des pathologies de l’excellence. La peur de ne pas être à la hauteur et parfois le surinvestissement dans le travail qui en découle, ou tout simplement la surcharge de travail, créent des situations de souffrance qui sont de plus en plus nombreuses. Est-ce là l’université que nous voulons ?

Et quelle énergie il faut aujourd’hui dépenser pour aider un collègue à s’extraire de ses difficultés, ou de la précarité ! Combien de relances il faut faire à un VP RH débordé pour qu’un dossier avance un peu ! C’est aussi cela la distance et la fragmentation : l’université qui va trop vite et qui est trop grande ne trouve plus le temps et n’a plus les moyens de faire de l’humain une priorité. Il faut repenser les conditions du dialogue social, l’aide aux personnels en difficulté en inventant des structures souples et réactives, au plus près des individus. Il faut mettre en place des services de proximité et sortir d’un centralisme qui crée de l’inertie et des files d’attente au comptoir de l’injustice et de la souffrance. Et j’écris ceci tout en reconnaissant le travail de grande qualité et le dévouement des personnels de la DRH. Mais ce service est lui aussi cruellement sous-administré et ses relations avec la vice-présidence RH sont à revoir.

 L’université de Strasbourg, après être passée par une phase de centralisme excessif, a aujourd’hui besoin de commencer son premier acte de décentralisation. Le centralisme génère de l’exclusion et devient vite aveugle à ses périphéries. Il ne peut plus voir les situations individuelles, les petites unités. Il en va de même avec la politique d’excellence. Plutôt qu’un « périmètre d’excellence » qui sélectionne et exclut, qui affaiblit certaines disciplines et arrose les plus dotées, inventons un rhizome de coopérations et de solidarités dans la recherche et la formation. D’autres modèles sont possibles. Il suffit de les inventer. C’est pourquoi des laboratoires d’idées seraient certainement bien plus utiles à notre université que des restructurations pilotées par des cabinets de consultance. Il nous faut aussi travailler à ce que les divisions entre nous, les oppositions et les concurrences, se transforment en acceptation de notre pluralité et de notre diversité. C’est une tâche difficile, mais à laquelle nous sommes tenus.

À propos de Pascal Maillard

Membre sortant du CA et candidat au CA
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