Politique du piège ou politique du pire : le silence coupable des présidents d’université

La transformation des modes de gestion des universités par la LRU démontre chaque jour davantage sa perversité budgétaire, contribuant à placer l’ensemble de nos établissements en difficulté.
La caractéristique fondamentale de cette loi est de placer les universités sous « enveloppe globale », c’est-à-dire que les salaires et les crédits de fonctionnement se voient réunis dans le même budget tandis que les présidences d’université doivent arbitrer leur répartition à partir de la dotation globale de l’État. Ce nouveau mode de gestion est très différent de ce qui prévalait auparavant lorsque les salaires des fonctionnaires relevaient des engagements contractuels de l’État et du ministère de la fonction publique, n’ayant donc pas d’impact sur les budgets de fonctionnement qui dépendaient du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Cette double logique de financement permettait à la masse salariale des université d’augmenter en raison de nouveaux recrutements nécessaires pour répondre à l’accroissement des effectifs étudiants ou bien du fait de la transformation éventuelle de postes de Mcf en PU sans toutefois porter atteinte aux budgets de fonctionnement qui relevaient d’autres lignes spécifiques de crédit.

Or quelles sont les conséquences de cette mise sous « enveloppe globale » de notre budget ?  Les universités ont hérité les engagements de l’État en matière de déroulement de carrière et de progression de salaire ; cependant puisque l’État n’est plus engagé par le paiement des salaires comme auparavant, rien ne lui interdit d’augmenter sa dotation budgétaire moins vite que l’inflation et moins vite que la progression réelle des traitements : il suffira au gouvernement de prétexter d’autres priorités que l’enseignement supérieur ou mieux encore de mettre en avant la crise. Et c’est bien ce qu’ont fait les gouvernements successifs depuis 2008. Les universités sous enveloppe globale vont alors être amenées soit à puiser dans leurs réserves prudentielles – c’est ce qu’a fait l’université de Strasbourg avec une confondante imprévoyance – soit à couper dans les heures d’enseignement qui ne sont plus conçues comme le cœur même de notre mission et de notre raison d’être mais qui sont désormais considérées comme un coût, une variable qu’il faut ajuster à la baisse – c’est également ce que fait la Présidence de notre université, en expliquant sans ciller que de toute façon il y en avait trop !  – soit à renoncer à pourvoir l’ensemble des postes hérités de l’ancien mode de gestion – gel de postes –, puisqu’un poste non pourvu ne grève pas la masse salariale de l’université – là encore ce qui était auparavant perçu comme nos forces vives, les universitaires, est devenu une « charge salariale » excessive qu’il faut évidemment alléger. Cette « révolution conceptuelle » nous a fait basculer d’une réflexion sur la pertinence de nos diplômes et leur amélioration vers le développement d’outils destinés à  identifier le « coût de l’offre de formation » (aussitôt agrégé en COF) et à déterminer sa « soutenabilité », outils qui n’ont d’autre but que de permettre de nouvelles coupes claires dans nos enseignements : désormais la seule perspective de réforme que l’on offre à l’université en France. Nous sommes ainsi confrontés à un véritable plan social rampant, visant la diminution des volumes horaires et du nombre des  personnels, plan d’autant plus pernicieux qu’il est décentralisé et camouflé sous le beau nom « d’autonomie » alors que ce qui précède montre bien qu’il s’agit ici de tout autre chose que du libre choix de nos options.
Heureusement, pensons-nous aussitôt, les présidents d’université vont percevoir le piège, protester face à ce mécanisme diabolique qui les pousse à couper eux-mêmes dans les forces vives de leurs établissements. Ils vont remuer ciel et terre, entrer en dissidence, informer les étudiants, publier des tribunes dans les journaux, ameuter l’opinion publique, faire de la résistance passive en refusant de porter atteinte à leurs missions publiques d’enseignement et de recherche, enfourcher le cheval de l’excellence et annoncer qu’ils ne mutileront pas l’université ! Quelle belle bataille ce serait ! Et de surcroit un tel débat portant sur l’avenir des étudiants et le financement de formations de qualité serait un exemple de fonctionnement de nos institutions démocratiques permettant aux citoyens de se faire une opinion informée des problèmes et des solutions possibles sur un sujet de première importance.
Or que voyons nous ? Des présidents d’université silencieux. Une CPU inaudible qui ne s’exprime que par des communiqués de faible intensité. Des établissements qui cherchent surtout à obtenir des arbitrages ministériels plus favorables même contre d’autres universités qui de ce fait auront moins. Dans l’univers concurrentiel de l’université moderne pas de quartier ! Nos dotations auraient pus être les vôtres ? Elles seront donc vos déficits !

Non seulement les présidents d’université ne nous offrent aucune protection contre ces politiques nouvelles, non seulement ils « font le sale boulot » de la réduction des coûts de l’enseignement universitaire (pourtant particulièrement faible en France) mais de surcroit, en nous expliquant comme le fait Alain Béretz, que de toute façon il y avait trop d’heures d’enseignement pour les étudiants, qu’il est bon de songer à « améliorer la visibilité de l’offre de formation » (nom codé pour la « suppression de diplôme »), les présidents d’université désamorcent tout possibilité de contestation, exercent un effet anesthésiant sur nos capacités de résistance et finalement nous conduisent à cette résignation diffuse qui est désormais le sentiment dominent dans nos facultés.
En donnant un visage humain et de proximité à des politiques que le monde universitaire n’aurait jamais acceptées si elles avaient émané d’un projet de réforme ministériel opéré depuis Paris, les présidents d’université de la LRU sont les complices objectifs de l’ensemble des politiques qui nous sont appliquées, et finalement leur seul rouage indispensable.
Le président Alain Beretz, qui fait aujourd’hui campagne en place et lieu des candidats de la liste qui le soutient et s’inscrit ainsi dans le moule présidentialiste de la LRU, fait assurément partie de ceux qui, ces dernières années, se seront le mieux coulés dans cette politique du piège.

À propos de Philippe Juhem

Membre sortant du CA et candidat au CS
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Une réponse à Politique du piège ou politique du pire : le silence coupable des présidents d’université

  1. Dubois Pierre dit :

    Excellente analyse. Mais que faire ?
    L’intersyndicale va-t-elle à boycotter les élections (pièges à c…) ?
    Va-t-elle appeler à un mouvement des personnels et des étudiants ?
    Pierre Dubois
    http://blog.educpros.fr/pierredubois/

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